Un jeu de Go infini ?
La naissance des structures spatiales
Cela faisait bien deux mille ans que Brahma et Vishnu (ou Gabriel et Lucifer, si vous préférez) se querellaient sur ce sujet : Brahma tenait que l'arithmétique était la plus ancienne science, et qu'elle était un préalable à toute autre, même la géométrie, car "rien ne peut se faire sans les nombres entiers". Vishnu était de l'avis exactement contraire : il pensait que les nombres ne peuvent servir qu'à compter et ordonner, et que ceci ne pouvait se concevoir que s'il y a quelque chose à compter et ordonner : or les notions de base de la géométrie, les points et les droites, n'ont pas besoin des nombres pour exister, et les axiomes d'Euclide ne font même pas usage des entiers... A partir des points et des droites, on peut compter leur nombre, leurs intersections, etc., mais c'est la géométrie qui permet de différentier les objets, et par la même de les compter.
Fatigués par
deux mille ans de querelle stérile, les deux
Dieux décidèrent de se reposer un peu.
- Jouons à un jeu, proposa Brahma
- D'accord, répondit Vishnu. Lequel ?
- Je propose le jeu de Go, suggéra Brahma.
- Hmm, fit Vishnu. Un jeu très intéressant, pour
sûr.
Eh bien, d'accord.
(Le
jeu
de Go (ou wei-chi pour les chinois) est un jeu chinois. Ceci
suffit
presque à en définir les règles,
tellement elles sont
simples et naturelles.
Le jeu se joue a deux, ordinairement
sur un quadrillage
en damier qu'on appelle goban (prononcer :
gobanne). Contrairement
aux dames et aux échecs, on joue sur les intersections des
lignes
et non dans les cases. Chaque intersection a donc en
général
quatre voisins, en haut, en bas, à gauche et droite. Chacun
a son
tour, les deux joueurs posent un pion (qu'on appelle une "pierre"), ou
il veut sur le goban. Le premier joueur "noir" pose une pierre noire,
le
second joueur "blanc" pose une pierre blanche, et ainsi de suite. On ne
déplace jamais les pierres. Lorsque deux pierres de la
même
couleur sont voisines, elles forment une chaîne.
De même
pour trois, quatre etc. : dans une chaîne de n pierres, on
peut donc
aller de proche en proche d'une pierre a l'autre en allant de voisin en
voisin. Le nombre total d'intersections vides qui sont voisines des
pierres
d'une chaîne s'appellent les libertés
de la chaîne.
Et voici les deux règles
essentielles est si simples du jeu de Go
:
1) Si
une chaîne n'a plus de
libertés, on la retire du jeu. Toutes les pierres de la
chaîne
sont capturées par celui qui a supprimé la
dernière
liberté.
2) il
est interdit de poser une pierre
à un endroit où elle n'aura pas de
liberté.
On pourrait donc croire que le jeu
ne consiste
qu'à "capturer des pierres en les entourant pour supprimer
leurs
libertés". Mais en fait il suffit de jouer un peu pour
s'apercevoir
que le vrai but consiste à créer des
chaînes "incapturables",
qui délimiteront des territoires dans
lesquels l'adversaire
n'aurait pas intérêt à jouer car ce
serait la mort
à coup sûr pour ses pierres. Et en fait la
création
des territoires est le vrai but du Go, et a la fin de la partie
(lorsque
les deux joueurs passent consécutivement) on compte
simplement les
territoires et les pierres capturées.
Pour ceux qui voudraient essayer, il existe une troisième règle, dite du Ko : 3) il est interdit, après une capture, de recapturer la pierre qui vient d'être posée si cela recrée la situation précédente. Et voilà, c'est tout. Avec ces règles merveilleusement simples, on crée un jeu dont la complexité, la richesse, la folie même, défie l'imagination. Le Go est bien plus complexe et riche que les échecs par exemple, car, même si la tactique y est (très) importante, entre joueur de bon niveau il intervient également une affaire de "feeling", de "sentir les bonnes formes des pierres", de "jouer avec le bon timing", etc. qui réclame un "sens du jeu" qui ne s'acquiert qu'après des années et des années de pratique et d'étude...)
- Donc, demanda
Brahma, nous allons jouer au Go. Sur quelle taille
de damier ? Il nous faut un damier à notre mesure. Pas
question
de nous contenter du goban 9x9 des
débutants, du 13x13 utilisé
pour l'entraînement ou même du 19x19 des parties
"normales".
Que diriez vous de 25x25 ?
- Intéressant, répondit Vishnu. Si la
complexité
du jeu augmente exponentiellement avec la taille, ce qui semble
être
le cas, le jeu sur un Goban 25x25 doit être être
presque trois
fois plus complexe que sur un 19x19, qui donne
déjà bien
du fil a retordre a des joueurs professionnels. C'est
déjà
au delà des capacités humaines, à mon
avis. Mais ça
ne me satisfait pas. Je pensais à bien plus grand, ajoutait
avec
un sourire en coin..
- Bigre ! 35x35, alors ?
- C'est amusant, comme on utilise toujours des nombres impairs.
Pourquoi
pas un nombre pair ?
- Mais, objecta Brahma, on perdrait la notion de symétrie.
L'intersection
centrale est importante, celui qui y joue contrôle le
centre....
- Oui, répondit Vishnu, mais sur un très grand
Goban,
disons 100x100, peu importe que ce soit 100x100 ou 101x101 : le centre
est si éloigné des bords que cela ne fait plus
guère
de différence, ne pensez vous pas, mon cher Brahma ?
- Fichtre ! 100x100, c'est cela que vous suggérez ?
- En Fait, non, répondit Vishnu d'un air rusé. Je
pensais
à vraiment plus grand.
- Diantre ! Et quelle est votre idée ?
- Je pensais à un goban... infini.
Brahma resta un moment
sans voix, avant de laisser tomber :
- Cornegidouille ! Voilà une idée qui me
plaît,
Vishnu. Un goban infini ! Mais... comment y jouer ?
- C'est très simple. En posant chacun une pierre et en
suivant
les règles. Si d'aventures d'autres règles sont
nécessaires
sur ce damier un peu spécial, nous nous mettrons d'accord au
fur
et a mesure sur leur formulation. D'accord ?
- Hum ! Je pressens encore un de vos coups tordus, mais c'est d'accord,
acquiesça Brahma un peu à contrecoeur.
- Voulez vous commencer, alors ? Proposa Vishnu.
- Avec plaisir, mais... ou mettre la première pierre ?
Vishnu s'assit sur son postérieur et ramena sa longue queue derrière lui, avant de sourire :
- Mais... Où
vous voulez, mon cher Brahma. Ou vous voulez ! Sur
un goban infini, tous les emplacements se valent...
- Il est vrai. Alors je vais munir notre goban d'un système
de coordonnées cartésiennes, et dire que je pose
ma première
pierre en (0,0), par exemple. Tenez, Vishnu, c'est amusant, vous voyez
bien que j'ai besoin des nombres avant d'avoir besoin de la
géométrie
!
- Absolument pas, tout au contraire. Je n'ai que faire de votre
système
de coordonnées. Moi, ce que j'attends de vous, c'est que
vous posiez
une pierre.
- Mais je viens de le faire ! Objecta Brahma. En
zéro-zéro..
- Ah Ah ! Et ou est-elle, cette pierre ?
- Mais je viens de vous le dire ! En zér...
- Tenez, l'interrompit Vishnu en claquant des doigts pour faire
apparaître
une petite pierre noire entre ses doigts griffus et poilus. Voici une
pierre.
Posez là.
- Quoi ?
- Vous et moi, nous vivons au paradis, qui a l'avantage
d'être
infini, sans forme et sans dimension. Nous pouvons donc
créer de
toute pièce la géométrie qui nous
convient pour notre
goban. Et nous n'avons nul besoin de nombres pour cela. Posez cette
pierre
sur le sol à coté de vous , où vous
voudrez, et
laissez moi donc jouer à mon tour.
Interloqué,
Brahma pris la pierre et la posa avec répugnance
à coté de lui.
- Cela n'a pas de sens, dit il. Il n'y a pas d'intersection, pas de
coordonnées, il n'y a rien par terre. Où est
votre goban
?
- Ne voyez vous pas que vous venez de faire un grand pas en posant
cette pierre ?
- Que voulez vous dire ? dit Brahma.
- Simplement que tout goban que nous choisirons de tracer sur le sol
doit avoir deux droites perpendiculaires qui passeront par la pierre
que
vous venez de poser. La géométrie...
- N'est rien sans l'arithmétique, termina Brahma. N'essayez
pas de relancer notre vieille querelle. Mais je vois ce que vous voulez
dire. Nous posons des pierres, et nous tracerons le goban qui les
supporte
au fur et a mesure, n'est ce pas ?
- Absolument. Comment faire autrement avec un goban infini ?
- Simplement avec un système de coord...
- Stop ! L'interrompit Vishnu. Laissons cela. Avec votre pierre, vous
avez fait un grand pas, mais nous ne pouvons encore rien tracer. Il
nous
manque l'orientation de nos deux premières droites. Nous
savons
qu'elles passent par votre pierre, mais pas comment
elles le font.
et c'est cela qui vous choque, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Laissez moi donc jouer a mon tour, et vous verrez.
A nouveau, Vishnu claqua des doigts et fit apparaître une pierre, blanche cette fois, entre ses doigts. Puis il se leva, fit cinq sur le coté et posa la pierre au sol.
- Voici ma pierre. A votre
tour.
- Je ne vois pas où vous voulez en venir. Si on peut poser
des
pierres n'importe où, où est
l'intérêt du jeu
? comment compter les libertés ?
- Ne voyez vous pas, dit Vishnu, que nous avons fait un grand pas ?
Nous pouvons maintenant dire beaucoup plus de choses sur la
géométrie
que nous sommes en train de créer.
- Ah ! Je vois, fit soudain Brahma. Il y a une droite qui passe par
les deux pierres. Donc cela fixe l'orientation du goban. Il ne nous
manque
plus que la distance d entre les deux pierres pour
déterminer
le système de coordonnées.
- Vrai et faux tout a la fois, observa Vishnu.
- Comment cela ?
Vishnu revint s'asseoir en
face de Brahma et se mit a dessiner deux
dessins sur le sol :
- Vous supposez que la
situation est telle que sur le dessin de gauche.
Dans votre jargon, vous supposez implicitement que la
coordonnée
Y de ma pierre est la même que celle de votre pierre. Mais
qui nous
dit que je n'ai pas joué en pensant au dessin de droite, qui
en
vérité est bien plus
général ? En vérité,
pour reprendre vos idées absurdes de système de
coordonnées,
vous avez supposé que j'ai joué en (0,d),
alors que
moi j'ai joué en (x,y), et sans préciser x ni y,
en dehors
du fait que ce sont des entiers.. D'ailleurs je n'ai pas
précisé
non plus la dimension de l'espace : qui vous dit que nous sommes en
train
de jouer a deux dimensions seulement ?.
- Je dis que nous êtes complètement tordu, Vishnu.
- Bien sûr ! Répondit-il avec un sourire narquois.
Mais
dites moi : J'ai tracé des droites qui ne sont ni verticales
ni
horizontales. Mais puis-je choisir n'importe quelle orientation ?
- Que voulez vous dire ?
- Simplement, que si X et Y sont des entiers, la pente de mes droites
est forcément une fraction rationnelle. Elle ne peut plus
être
n'importe quel nombre réel.
- La belle affaire !
- La situation est simplement celle-ci, continua Vishnu avec le plus
grand calme. Vous avez posé une pierre noire, j'ai
posé une
pierre blanche, mais sans préciser ses
coordonnées. Si je
l'avait fait, cela aurait fixé une fois pour toute la
géométrie
du goban, d'accord ? Mais je ne l'ai pas fait, car c'est à
vous
que je veux laisser ce soin...
- Comment cela ?
- Simplement en posant votre troisième pierre. Mais laissez
moi continuer. Si je vous avais simplement annoncé les
coordonnées
de ma pierre, sans la poser au sol, cela vous aurait satisfait, vous,
car vous croyez n'avoir besoin que d'un système abstrait de
coordonnées
pour jouer. Mais moi, j'ai besoin de visualiser ce
qui se passe,
de poser des pierres quelque part et pas dans un système
abstrait.
En d'autres termes, j'ai besoin d'un support matériel pour
jouer.
- Quelle pauvreté d'esprit ! fit Brahma sarcastiquement.
- je vous l'accorde, concéda Vishnu, visiblement de bonne
humeur.
Cependant, c'est ainsi. Et donc, c'est à vous de poser la
troisième
pierre. Mais vous ne pouvez pas le faire n'importe où,
dorénavant.
- Et comment donc ! Puisque mon but est de gagner ! Je ne joue pas
au hasard, moi !
- Il ne s'agit pas de cela. Simplement votre troisième
pierre
doit avoir une position cohérente avec les deux autres
déjà
posées. Nous savons que les trois pierres doivent se trouver
aux
intersections d'un même quadrillage régulier.
Donc, il existe
une orientation et une distance unité qui
définissent ce
quadrillage, et votre pierre doit se trouver dessus, avec des
coordonnées
entières dans cette unité, ou encore a des
coordonnées
rationnelles par rapport aux deux pierres déjà
posées...
- Vous voyez bien ! L'interrompit Brahma. Vous avez besoin d'un
système
de coordonnées, en fin de compte !
- Je n'ai fait qu'utiliser votre terminologie, pour que ça
puisse
rentrer facilement dans votre crâne bouffi d'orgueil. Je veux
simplement
dire que vous ne pouvez jouer n'importe où,
dorénavant. Supposons
par
exemple que vous décidiez de jouer sur la droite qui relie
les deux
pierres existantes, et que vous décidiez en vous
même que
cette distance est un entier d. Alors vous ne
pouvez pas jouer à
la distance π de ma pierre, car π n'est pas rationnel, et
nous ne saurons pas tracer les lignes du goban
dans ces conditions.
- Ah ! Fit Brahma. Je vois. Si par exemple je décide que la
distance entre les deux pierres déjà
posées est de
100, par exemple, et que je veux poser ma nouvelle pierre sur cette
droite,
je dois la poser à une distance des autres pierres qui soit
un multiple
entier de d/100...
- Précisément, confirma Vishnu.
- Bon ! Mais si je ne veux pas poser ma pierre sur cette droite ?
- C'est votre droit. Donc, puisque vous y tenez, vous n'avez
qu'à
imaginer dans votre petite tête que j'ai posé ma
pierre a
des coordonnées entières quelconques, disons
(x=20,y=10),
et vous pouvez poser votre troisième pierre n'importe
où
du moment que vous restez cohérent avec ce choix.
- Parfait, dit Brahma. Je vais donc supposer que vous avez
joué
en (1,1), en hane, comme disent les japonais,
c'est à dire
en diagonale par rapport à moi, et je vais donc jouer juste
en dessous,
en connectant... ici (coup 3). A vous, maintenant.
-
intéressant, répondit Vishnu. Vous avez l'infini
de l'espace
pour vous, et vous choisissez de jouer au contact de ma pierre !
- A quoi bon jouer dans mon coin, à des
kilomètres l'un
de l'autre ? Chacun de nous créerait des territoires de
même
taille et la partie se solderait par un match nul. Aucun
intérêt.
C'est dans le combat que nous jugerons nos valeurs respectives ! Alors
pourquoi l'éviter ?
- Certes, répondit Vishnu.
- Et vous voyez ? Ainsi, avec trois pierres, j'ai fixé le
système
de coordonnées ! N'est-ce pas merveilleux ? Maintenant nous
pouvons
tracer le goban, ou bien nous passer de vos fichus pierres et raisonner
dans notre tête, en coordonnées, en purs
esprits...
- Que c'est beau, fit Vishnu, sardonique. Mais laissez moi poser ma
pierre à mon tour... Disons... ici. (pierre 4 sur
le dessin).
- Hé ! Qu'est ce que vous faites ! C'est de la triche ! Vous
posez votre pierre au milieu des autres... Même pas sur une
intersection
!
- Mais si, mais, si, répondit Vishnu. J'ai parfaitement le
droit
de faire ce que je viens de faire. Vous, vous avez
raisonné
en imaginant Dieu sait quel système de
coordonnées, mais
moi, ce que j'ai vu, c'est trois pierres posées sur le sol
en quinconce,
et il existe une infinité de vos systèmes de
coordonnées
qui permettent le coup que je viens de jouer. Par exemple si la
distance
entre les pierres 1 et 3 (ou 2 et 3) était 10 et non, un, je
pourrais
jouer en (4,8), a peu près là où j'ai
mis ma pierre...
Mais en réalité, le système auquel je
pensais, c'est
celui ci :
-Mais
C'est déloyal ! S'exclama Brahma.
- Qu'est ce qui est déloyal ? Les règles ne sont
elles
pas absolument claires ? N'en n'avons nous pas convenu entre nous avant
le début de la partie ?
- Ce que je veux dire, fit rageusement Brahma, c'est que avec votre
fichu système vous allez pouvoir intercaler une pierre entre
deux
autres, simplement en imaginant que le système de
coordonnée
est deux fois plus serré que ce que je pensais une minute
auparavant...
- C'est vrai. Et ce n'est pas bon. Pour la suite, il nous faut donc
imaginer une règle supplémentaire : il nous faut
fixer une
échelle, un pas, à notre quadrillage, une fois
pour toute.
- Et une orientation ! Nous avons besoin en fait de trois choses :
d'abord un point de départ, la première pierre,
donc. Ensuite
une orientation des axes, et une échelle. Cela s'appelle un
système
de coord...
- Pas du tout, coupa Vishnu, impatienté.
L'échelle et
l'orientation ne sont pas indépendantes. Elles
l'étaient
au moment de la pose de la première pierre. Mais maintenant
qu'il
y a plusieurs pierres posées, il n'en va plus de
même.
- Et pourquoi donc, monsieur je sais tout ?
- Simplement parce que tout d'abord, dès qu'il y a plus de
deux
pierres, si nous fixons l'échelle, nous fixons
l'orientation. Du
moins a une symétrie près.
- Pourriez vous éclairer ma lanterne ? Demanda Brahma. je ne
vois pas...
- C'est très simple, commença Vishnu en
soupirant. supposons
qu'il y ait deux pierres. Fixer l'échelle, c'est alors
donner une
valeur numérique arbitraire à la distance entre
ces pierres.
- Je vois. Une valeur entière, bien sûr.
-
Pas du tout. Nous pouvons prendre n'importe quel réel de la
forme
racine de la somme des carres de deux entiers....
- ???
- Regardez, expliqua patiemment Vishnu :si deux pierres sont
posées sur le Goban, Elles doivent être
à des coordonnées
entières au moins un système de
coordonnée : donc
la distance entre les deux pierres est forcément de la forme
que
je viens de vous dire. C'est une application
élémentaire
du théorème de Pythagore. Donc votre
échelle ne peut
pas être n'importe laquelle...
- C'est diabolique !
-
Je ne vous le fais pas dire. Et Maintenant, si nous choisissons de dire
que la distance est, disons racine de 18, nous fixons X=3 et
Y=3
car ce sont les seuls entiers dont la somme des carrés fait
18.
donc l'orientation est fixée par l'échelle. Mais
si nous
choisissons de dire que la distance est , disons, 4, c'est à
dire
racine de 16, et comme 16 = 2x2+3x3, nous avons deux choix possibles :
soit x=2 et y=3, ce qui fixe les axes dans l'orientation en noir sur la
figure, soit x=3 et y=2, ce qui fixe les axes dans l'orientation en
rouge...
- Je vois, dit Brahma au bout d'un instant de réflexion. Et
si nous fixons l'orientation d'abord ?
- Dans ce cas, cela détermine l'échelle maximum,
mais,
comme vous l'avez dit, on peut toujours la diviser par un nombre
entier,
ce qui n'est pas déloyal tant que nous ne
sommes pas tombés
d'accord pour l'interdire.
- Ne serait-il pas souhaitable, alors, de convenir que dès
lors
que vous avez posé la seconde pierre, on conviendrait que la
distance
entre ces deux pierres est tout simplement l'unité
indivisible ?
- Certes, concéda Vishnu.
- Et dans ce cas, est-ce que cela ne fixe pas l'orientation de nos
axes ?
- Mmm... Oui, mais pas le sens des coordonnées. Lorsque deux
pierres ont été posées, et que l'on
convient que leur
distance est "un", cela fixe en effet l'orientation des axes, et le
sens
de l'axe des x, qui irait de la première vers la seconde
pierre,
mais non le sens de l'axe des y. Pour cela, il faut une
troisième
pierre.
- Vous êtes pire qu'un Jésuite !
- Je vous laisse la responsabilité de ce propos,
répondit
Vishnu. Sauf que votre troisième pierre, sans parler de ma
quatrième,
ne serait plus alors à des coordonnées
entières. Il
vous faut donc la retirer.
- Ah mais, se fâcha Brahma, si c'est ainsi, je refuse de
jouer
davantage !
-
Ne vous fâchez pas, mon cher Brahma. Reprenons depuis le
début.
En vérité, c'est très simple. Vous
posez la première
pierre (noire). Je pose la seconde pierre (blanche) et nous convenons
que
la distance entre elles est l'unité. Nous reviendrons
là
dessus, d'ailleurs. Mais admettons. Dans ce cas nous avons le
schéma
de la figure de gauche. Ensuite, vous posez la troisième
pierre
; mais vous voyez bien sur la figure de droite, où j'ai fait
pivoter
la figure, que cette troisième pierre n'est pas
à une
distance entière des deux autres : la distance est l'inverse
de
la racine de 2, parce que c'est le système d'axes en rouge
qu'il
faut considérer, non celui en noir.
- Mouais, Admis Brahma.
- Donc, avec nos conventions, vous ne pouvez pas la poser là
ou vous l'avez fait. D'ailleurs, moi même je n'avais pas
vraiment
le choix pour poser la seconde pierre, puisque elle devait
être à
une distance unité de la vôtre. En
vérité, c'est
là une conception vraiment antipathique car elle suppose que
je
n'ai pas le droit de jouer ma seconde pierre ou je veux, mais seulement
au contact de la votre. A une symétrie près, je
n'ai en
fait qu'un seul coup possible ! Comment jouer une partie
équitable
dans ces conditions ?
- Oui, comment ?
- Je pense que le plus simple est que, en posant ma seconde pierre,
je vous informe de la distance qui la sépare de la
première
dans
mon esprit. C'est seulement ainsi que j'ai le choix de la
poser où
je veux sur ce goban infini. Je peux vous annoncer n'importe
quel
nombre de la forme "racine de la somme de deux carrés"
D'après
ce que nous venons de dire, cela fixe l'échelle, mais pas
forcément
l'orientation des axes puisque dans le cas
général il y a
deux orientations possibles. Je vous annonce donc que ma pierre blanche
numéro 2 est à la distance "racine de 10" de
votre première
pierre.
- Je pense que ça devient n'importe quoi. Où
voulez vous
en venir ?
-
Mais voyez le miracle, poursuivit Vishnu, ignorant l'interruption. Avec
ce choix, Vous avez maintenant parfaitement le droit de poser la
troisième
pierre là où vous l'avez fait, et moi ma
quatrième
pierre là où je l'ait fait, parce que un
système de
coordonnées qui marche (ce n'est pas le seul) est celui de
la figure
ci-contre et que dans ce système toutes les pierres ont des
coordonnées
entières (elles sont sur le quadrillage) et la distance
entre les
deux premières pierres est bien racine de 10 = racine de 12
plus
32 , d'après Pythagore. toujours.
- Diable !
- Un peu de retenue, voyons, souris Vishnu.
- Mais, dites moi, mon cher ami, est ce que moi je n'aurais pas pu
user du même truc en posant la troisième pierre ?
Je pouvais
vous annoncer n'importe quoi en la posant, moi aussi, genre "elle est
à
la distance tartempion de la seconde ?"
- Non, car vous devez respecter l'échelle qui a
été
fixée une fois pour toute par mon annonce au second coup.
Brahma réfléchit un instant.
- Ce que vous me dites
là est fascinant, conclut-il enfin. Ainsi,
pour fixer le système de coordonnées, il suffit
de poser
deux pierres et d'annoncer la distance que les sépare
arbitrairement,
tant que c'est bien la racine d'une somme de deux carrés..
Et notez
bien que cela peut être un entier, éventuellement,
mais pas
n'importe lequel : il faut que le carré de cet entier soit
la somme
des carrés de deux autres... C'est ce que l'on appelle un
triplet
pythagoricien, je crois ?
- Oui,
mais vous avez tort. Le système de coordonnées n'est
pas
fixé après la pose de la seconde
pierre, même avec
une annonce de distance.
- QUOI ?
- Voyez : il y a deux systèmes possibles, l'un en rouge,
l'autre
en noir. Dans les deux systèmes, la distance entre les deux
pierres
est bien racine de 10. C'est seulement au moment de la pose de la
troisième
pierre que vous déterminez le système que vous
choisissez.
- Ainsi, je pourrais poser cette troisième pierre sur
n'importe
quelle intersection du quadrillage noir, ou bien du rouge, au choix ?
- C'est cela, confirma Vishnu.
- Et existe-t-il des points où les deux quadrillages ont des
intersections communes ?
- Oui. Par exemple le point 1, le point 2, et tous les points qui sont
sur la droite qui les joint, à une distance multiple de
racine de
10.
- Ah ! Et dans ce cas, si je joue par exemple la pierre 3
symétrique
de la pierre 2 par rapport à la pierre 1, le
système n'est
toujours pas fixé ?
- absolument.
- Nous pouvons donc jouer toute la partie sur ces cases
ambiguës
?
- En ce cas, cela revient a choisir un nouveau quadrillage dans lequel
la distance entre les deux premières pierres est 1. Solution
que
nous avons exclue, car elle restreint la liberté de celui
qui joue
en second.
- Je vois.
- Ça m'étonnerait.
- Mais il y a une chose qui me tarabuste, continua Brahma, ignorant
le sarcasme.
- Ah oui ?
- Quelle est alors la stratégie optimale pour le second
joueur
? A quelle distance de la première pierre devez-vous jouer
pour
gagner ?
- En gros, répondit Vishnu qui avait réponse
à
tout, il y a deux stratégies extrêmes : Soit je
pose ma pierre
très loin de la vôtre, et et nous
édifions chacun de
notre côté des "forteresses" inexpugnables avant
d'engager
enfin le combat, soit nous choisissons de batailler dès le
départ,
et advienne que pourra. Entre les deux, il y a toute une gamme de
stratégies
intermédiaires...
- Certes, c'est élémentaire. Mais ces deux
extrêmes
ne se rejoignent-t-ils pas d'une certaine façon ? Nous
disposons
d'un goban infini, et l'infini n'a pas de bord.
- Vraiment ? fit Vishnu.
- Ça vous étonne ? Ça me
m'étonne pas de
vous. Quoi qu'il en soit, il n'est pas question de créer des
territoires
sur les bords, comme dans un jeu de go ordinaire. En
définitive,
quelle que soit la distance forcément finie à
laquelle vous
poserez la seconde pierre, au bout d'un certain temps il y aura
près
du centre un gros paquet de pierres des deux couleurs
agglomérées
ensembles, avec peut être de petits territoires dans les
interstices,
alors que l'infini tout autour restera vierge et
inexploré...
- Mmm.
- je
suppose que c'est un acquiescement que vous venez d'exprimer ? Bref. La
seule façon donc de gagner vraiment des
points, c'est de
créer des territoires immenses, en s'éloignant du
centre
vers l'infini, en posant des jalons dans différentes
directions...
Au bout d'un certain temps, vu de très loin, cela
ressemblera
à ça : un gros paquet de pierres noires et
blanche agglutinées
au centre, et des secteurs angulaires appartenant plus ou moins
à
chacun de nous, avec des frontières plus ou moins nettes,
vers la
périphérie, avec l'espoir de pouvoir aller
jusqu'à
l'infini.
- Vraiment, c'est remarquable que vous ayez vu ça, Brahma.
Je
n'en attendais pas tant de vous.
- Ne raillez pas. On peut même ajouter que nous tendrons
naturellement
a délimiter chaque secteur, en créant des murs
qui s'adosseront
mutuellement, de sorte que le jeu consistera entre une
perpétuelle
balance entre la création de murs et les tentatives de
limiter les
secteurs adverses, qui construira alors un nouveau mur un peu plus
loin....
- Hmm.
- Encore ? Vous ne savez vous exprimer qu'en grognant, Vishnu ?
- Hmm...
- Vous êtes lamentable. Bref, passons. Mais si nous
somme
aussi bons joueur l'un que l'autre, la taille de nos secteurs
angulaires
respectifs sera a peu près égale, de sorte que la
partie
sera nulle ?
- Hmm... C'est fort possible.
- N'y a-t-il pas un moyen de sortir de ce système, pour
rendre
les choses plus intéressantes ?
- Bien sûr ! S'exclama Vishnu. J'en vois même
plusieurs.
- Ah !

- Il y a
différents moyens de sortir du système, comme
vous dites.
- Ah ah !
- Tout d'abord, puisque nous avons un Goban infini, rien ne nous
empêche
de jouer à l'infini, c'est à dire à
une distance infinie
des autres pièces. Vous pouvez poser votre pierre "ailleurs"
et
commencer là un nouveau jeu qui n'aura aucun rapport, du
moins spatial,
avec le précédent.
- Mais ça ne sert à rien ! Objecta Brahma.
- Si, car ce faisant j'aurais passé mon tour sur le premier
goban. Vous aurez alors deux coups d'affilée, ce qui peut
être
extrêmement utile.
- Mmm.
- Tiens, observa Vishnu, c'est vous qui grognez, maintenant ? Mais
vous avez raison, ce n'est pas très intéressant.
Vous trouverez
peut être plus intéressant l'idée de
sortir de nos
deux dimensions et de jouer un coup, à l'improviste, dans
une troisième
dimension.
- Un coup vraiment tordu. Ça ne m'étonne pas de
vous.
- Oui, mais c'est intéressant car en ajoutant une dimension
supplémentaire on fait gagner d'un seul coup des
libertés
à toutes les pierres. Avec trois dimensions, chaque pierre a
six
libertés, et non plus quatre. Avec dix dimensions...
- Dix dimensions ! Cela parait difficile à visualiser,
s'exclama
Brahma.
- Parlez pour vous ! Pour moi, c'est très facile.
- Pour moi aussi, naturellement. Je blaguais. Nous autres dieux, nous
n'avons pas les limitations des humains. C'est ce qui nous permet
d'imaginer
des choses aussi futiles qu'un goban infini multidimensionnel sans
faire
usage d'un système de co...
- Oui, oui, très bien, Coupa Vishnu. Enfin bref, le jeu a
dix
dimensions n'est pas très intéressant car chaque
pierre a
trop
de libertés et devient impossible a capturer. Vous pouvez au
moins
vous rendre compte de cela ?
- Naturellement. Je ne suis pas ramolli du ciboulot, moi.
- Ravi de l'apprendre, répondit ironiquement Vishnu. Mais il
y a encore d'autres possibilités pour sortir du
système.
Par exemple nous pouvons refuser de se servir d'un système
de coordonnées.
Ne pas annoncer la distance entre la première pierre et la
seconde.
Poser chaque pierre où nous voulons.
- Mais nous l'avons déjà fait ! Ça ne
mène
à rien. Si vous posez une pierre en dehors du quadrillage,
vous
le divisez en deux...
- Et même peut être davantage. Si je pose ma pierre
a une
distance 2/7 d'une autre, j'aurais en fait divisé le
quadrillage
en sept...
- De sorte que c'est comme si on dilatait magiquement l'espace entre
les pierres déjà posées, termina
Brahma, ravi de couper
pour une fois son caquet à l'infâme Vishnu.
Ça ne mène
à rien. Trop de liberté tue la
liberté...
- Que c'est beau ! Pourtant, l'expansion de l'univers, ça
existe
bel et bien, non ?
- Notre goban n'a rien à voir avec l'univers. C'est un monde
abstrait.
- Croyez vous ? Demanda Vishnu. Et Comment est-il né, cet
univers
?
- Le big bang... Commença Brahma.
- Vous croyez à cela ? Une formule creuse qui ne veut rien
dire.
L'univers ne peut se construire que peu a peu. La complexité
ne
s'engendre pas toute seule.
- Trêve
de philosophie. Revenons à nos moutons.
- Il y a quand même quelque chose d'intéressant
à
cette idée de dilater l'espace. Mais je trouve
très réducteur
d'avoir à imaginer que toutes les distances
résultent de
triplets pythagoriciens. Mais je vais vous montrer à quoi je
pense
vraiment. Supposions qu'il y ait déjà deux
pierres posées,
formant donc une unité de distance entre elles... Comme
ceci.
- Et alors ? On a déjà parlé
de ça.
- Alors, la troisième pierre, vous pouvez la poser... ici.
- A une
distance 6 de la pierre blanche. Bon, et alors ? Interrogea Brahma.
Où cela nous mène t-il ?
- A ceci que la distance n'est pas 6, mais 2π.
- Mais ce n'est pas un rationnel ! S'écria Brahma.
Sacrilège
!
- Ça vous va bien de dire ça. J'ai simplement
posé
une pierre par terre, et déjà vous
râlez. Mais notez
que nous pouvons approcher pi par des rationnels, disons 25/4, 22/7,
355/113
et ainsi de suite. C'est ce que l'on appelle une
décomposition en
fraction continue. Vous devez connaître ça, quand
même
!
- Certes. Ces rationnels deviendront de plus en plus proches de pi.
Mais aucun ne sera exactement égal à pi.
- Et voici l'astuce, poursuivit Vishnu. Vous Pour poser la
quatrième
pierre, vous choisissez une fraction continue qui représente
pi,
ce qui vous donne une échelle, et vous jouer en
conséquence.
Ensuite pour la cinquième, vous pouvez ou bien conserver la
fraction
précédente, ou bien en choisir une autre plus
précise.
Vous pouvez même changer de nombre réel, du moment
que le
nouveau réel que vous choisirez a une fraction continue qui
corresponde
aux positions des pierres déjà posées.
Vous me suivez
?
- Je vois seulement que vous êtes tordu au delà de
toute
imagination. A quoi bon toute cette complexité ?
- A ceci : en dilatant l'espace de cette façon, avec un
nombre
irrationnel, et ses fractions réduites successives, il n'est
nul
besoin d'aller chercher l'infini au loin. Il se trouve
déjà
là, entre les pierres. Nous avons un infiniment grand et un
infiniment
petit dans notre goban. Et comme deux infinis, cela fait trop, nous
pouvons
même supprimer l'infiniment grand et jouer simplement sur un
goban
fini : Comme nous pouvons dilater l'échelle comme il nous
plaît,
nous n'atteindront jamais le bord.
- Comme vous y allez ! Et quelle taille choisirez vous pour ce nouveau
goban infini mais fini ? 1, peut être ?
- Précisément, répondit Vishnu.. Vous
avez presque
deviné ma dernière idée pour sortir du
système.
- J'adore votre "presque".
- Oui, car un goban réduit à un seul point n'est
pas
très exploitable... A moins d'avoir une autre
idée que je
vous laisse deviner.
- Ben voyons. Mais naturellement, je vois où vous voulez en
venir.
- Vraiment ? Vous m'étonnez.
- Mais je vais vous laisser le plaisir de l'énoncer vous
même,
dit Brahma, perfidement.
- C'est vous, Brahma, qui employez des ruses de Jésuites,
maintenant.
faites attention, je déteins sur vous et ça n'est
pas bon
pour vous...
- Certes non !
- Bon, alors voici mon idée puisque vous avez la galanterie
de me la laisser exposer : D'ailleurs, c'est un peu votre
idée !
Vous vous souvenez, lorsque nous avons parlé de la
stratégie
à adopter pour bien jouer, que vous avez dit que le jeu
consisterait
à construire, défendre et attaquer des
territoires en forme
de secteur angulaires ?
- Bien sûr. Je n'oublie jamais rien.
- Quel immense avantage d'avoir une mémoire infinie !
- Détrompez vous, répondit Brahma. Je me souviens
de
toutes vos perfides insinuations et c'est extrêmement
désagréable.
- Admettons. Alors, continuons. Vous conviendrez alors avec moi que,
pour un jeu qui va avoir grosso modo une forme circulaire, il est
risible
d'utiliser un système de coordonnées
cartésiennes
?
- Un système de coordonnées n'est jamais risible.
C'est
la preuve de la suprématie de l'arithmétique sur
la géométrie.
- Oui, oui, je sais. Encore vos idées loufoques. Enfin bref,
admettez qu'un système de coordonnées polaires
serait beaucoup
plus adapté à notre jeu infini ?

- Ce serait un moindre mal, dit -il.. Oui, enfin, vous admettez qu'il faut des coordonnées pour situer les objets dans l'espace !
- Jamais de la vie, répondit Vishnu, et je vais vous le prouver.
- Et comment cela ?
- Simplement avec une question : dans votre système de coordonnées polaires, le centre est la première pierre. Mais combien faut il de rayons ?
- De rayons ?
- Oui : nous devons jouer sur des intersections. Dans un système polaire, il y aura des cercles concentriques, et des rayons, qui formeront les intersections. Mais combien de rayons ?
Brahma réfléchit un instant avant de répondre.
-
Le plus important, dit-il finalement, c'est que autour de chaque
intersection,
il y ait le même nombre de voisins, quatre pour jouer
normalement.
Donc il faut quatre rayons... Ainsi la pierre centrale
possède elle
aussi quatre voisins, comme les autres
- Bravo ! Nous avons ainsi respecté deux conditions
implicites
pour notre Goban infini : l'homogénéité,
c'est
à dire le fait que chaque intersection possède le
même
nombre de voisines que les autres, et qu'on ne peut pas les
différentier
localement, et l'isotropie, c'est à dire
le fait qu'il n'y
a pas de direction privilégiée. Vue de chaque
intersection,
son voisinage apparaît semblable dans toutes les directions.
Ce n'est
pas évident à priori, mais on peut toujours
déformer
le Goban pour que n'importe quelle intersection se croie être
"au
centre". Vous me suivez toujours ?
- Hmm. Je crois.
- Donc ici nous avons quatre voisines pour chaque intersection. Du
moins si nous jouons à deux dimensions. A trois dimensions,
chaque
intersection devrait posséder six voisins, et donc il y
aurait six
rayons, mais pas tous dans le même plan.
-
Je ne vois pas très bien...
- Regardez la figure ci-contre, proposa Vishnu. Vous voyez ? En trois
dimensions, il y a trois cercles de même rayon
centrés sur
la pierre centrale, qui déterminent six intersections avec
les trois
axes...
- Bon, admettons; Mais nous ne jouons pas en trois dimensions ! Et
du reste, même en deux dimensions, ça m'ennuie de
n'avoir
que deux droites. J'aurais bien voulu jouer n'importe ou sur le plan...
- Tout à fait d'accord avec vous. Bon, alors j'ai une
idée.
-
Encore !
- Eh oui ! Regardez : Voici la pierre centrale avec ses quatre rayons.
Le second cercle définit quatre intersections, avec les
quatre rayons.
Mais sur le second cercle, on fait partir deux nouveau rayons du centre
de chaque "quadrant", et de même sur le troisième
cercle,
on fait partir deux nouveaux rayons du centre de chaque "octant".
Ainsi,
chaque intersection a bien quatre voisines... Et progressivement nous
créons
une infinité de directions. Si nous choisissons correctement
les
diamètres des cercles successifs, la densité sera
globalement
a peu près constante.
- Hmm. Je vois, admit Brahma. L'intervalle entre deux cercles
consécutifs
va diminuer pour compenser l'augmentation du nombre de "rayons". Mais
il
y a une chose qui me chiffonne.
- Ah ?
-
Oui : chaque intersection a quatre voisines, mais ces voisines ne sont
pas toutes égales. Par exemple, en partant du centre, on se
rend
sur une intersection du 1er cercle, puis de la on peut suivre un arc de
cercle et revenir au centre : ça nous a pris trois "coups",
et on a suivi
le trajet jaune Mais si je pars d'une autre intersection, il me faut quatre
coups pour revenir à mon point de départ, comme
sur le trajet
rouge. Votre graphe n'est pas isotrope...
- Bravo ! S'exclama Vishnu. C'est formidable que vous ayez vu cela.
- Vous allez me dire que vous le saviez déjà,
c'est cela
? Je n'en crois rien.
- Croyez ce que vous voudrez
- En tout cas, fit Brahma, conciliant, ça fout votre
idée
par terre.
- Mmm.
- Alors, comment trouver une topologie isotrope et homogène
qui garantisse à chaque pierre le même voisinage
de quatre
autres intersections, et telle qu'on puisse jouer partout sur le plan ?
Et toi, ami
lecteur, tu as trouvé ?
A suivre...
> La
suite : Un algorithme fractal pour le go (an anglais)
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